Dans ma carrière de journaliste, j’ai travaillé sur des projets passionnants dans de grandes entreprises, souvent leaders dans leur domaine. Et comme beaucoup, j’ai aussi été confrontée à des situations interpellantes, où ce qui m’a marqué n’était pas tant les défis professionnels eux-mêmes que les mots – les silences ou les paradoxes – des managers.
Souvent c’est le manque de clarté et même d’honnêteté qui blesse profondément. L’honnêteté est pourtant ce qui sauve tout : quand une situation est claire, l’autre peut choisir de s’y engager ou non. Ces expériences m’ont permis de réfléchir à l’importance d’une communication managériale respectueuse, et surtout bienveillante.

L’inaction déguisée en exigence : des demandes impossibles
Un épisode marquant de ma carrière a été lorsqu’on m’a confié un projet ambitieux, mais sans les ressources nécessaires pour le mener à bien. Le message était explicite :
"Nous savons que nous ne mettons pas du tout les moyens nécessaires au développement du projet, nous savons que c'est impossible. Cependant, dans deux mois, nous voulons des résultats visibles."
En voilà un paradoxe! Ce type d’exigence pose une question fondamentale : que dois-je comprendre ? Attend-on que je me plante ? Ou sait-on déjà que je vais échouer et que ce n’est pas grave ? Ces non-dits instaurent une insécurité insidieuse, car aucune réponse claire n’est donnée. Comment se sentir soutenu dans de telles conditions ?
C’est comme si l’on me demandait de préparer une tarte aux pommes avec les ingrédients d’une tarte au riz. Ces attentes irréalistes, doublées d’un manque de soutien, reflétaient une mauvaise compréhension du rôle d’un manager : fournir les outils pour réussir, et non imposer des objectifs intenables.
Le vrai problème n’est pas l’emploi du terme, mais bien l’incohérence entre les attentes et les moyens.
L’impact du "je ne sais pas" déguisé
Le flou managérial est une autre forme de communication toxique. Un manager m’a un jour reproché de ne pas faire assez de publications sur les réseaux sociaux. J’ai pris son commentaire au sérieux, lui montrant mon travail conséquent et aligné sur les attentes. Dans un élan de remise en question, je lui ai alors demandé ce que je devais faire de plus car je manquais d'idées. Sa réponse a été déconcertante : "Ça va, je ne fais que répéter ce qu’on m’a dit, je n’ai même pas regardé tes réseaux."
Non seulement il n’avait pas pris le temps de s’informer, mais il était aussi agacé que je pointe, malgré moi, son manque de préparation. Cette colère, il me l’a fait subir, ajoutant une tension inutile. Cette situation révélait une forme de désintérêt pour l’effort fourni, un manque de respect évident et une incapacité à recnnaître son erreur voir à présneter des excuses.
Quand on me reproche d’être performante
Une autre situation absurde est survenue alors que j’étais animatrice radio. Mes managers m’ont convoquée pour une discussion inhabituelle :
"Tu génères davantage d'articles de presse que tes collègues, et cela pose problème."
Le sous-entendu était clair : "Tu travailles trop bien, cela déséquilibre les choses."
Plutôt que de reconnaître ma contribution ou de chercher à en faire un exemple à suivre, il m’a été demandé de résoudre un problème. Fallait-il que je travaille moins bien pour leur permetrre d'atteindre leurs objectifs ? Cette incapacité à transformer une réussite individuelle en levier collectif témoigne d’une gestion inefficace et d’une certaine peur de bousculer les habitudes.
Quand défendre ses limites dérange
Un autre manager m’a reproché un mail adressé à un collaborateur dont le comportement était déplacé. Ce mail, factuel et poli, exprimait mes limites face à une situation qui nécessitait une clarification. Pourtant, il m’a rapporté que mon message était "inadapté". Inadapté pour qui ?
La réponse est évidente : ce mail met mal à l’aise parce qu’il nomme clairement un problème. Il dérange les personnes qui préférent éviter les confrontations. Ce n’est pas l’email qui pose problème, mais la peur de certaines personnes face à une prise de position ferme et respectueuse.
Ce qui se cache derrière les mots des managers
Dans chaque situation que j’ai vécue, les propos des managers reflétent souvent des préoccupations sous-jacentes, mal exprimées ou masquées. Ces attitudes témoignent de problèmes plus profonds :
La peur de bousculer ce qu’on perçoit comme un fragile équilibre interne de l’équipe.
La crainte de ne pas avoir les réponses ou les solutions attendues.
Un manque de préparation ou de vision, souvent déguisé derrière des reproches injustifiés.
Ces préoccupations sont humaines et compréhensibles. Mais elles ne doivent pas se traduire par des commentaires blessants ou une communication défaillante. Un manager doit apprendre à distinguer ses propres insécurités des besoins réels de son équipe. Une introspection et une formation adéquate peuvent transformer ces peurs en leviers pour une communication plus saine.
Ce qu’un manager dit (et ne dit pas) compte
Ces expériences montrent que la communication managériale est un levier puissant – pour le meilleur ou pour le pire. Ce que les managers disent peut motiver ou démoraliser, mais ce qu’ils ne disent pas est tout aussi impactant.
Le silence face à une réussite peut laisser un sentiment d’invisibilité et de manque de reconnaissance.
L’absence de soutien dans les moments critiques engendre de la frustration et un sentiment d’abandon.
Le manque de clarté dans les attentes crée de l’insécurité et alimente les malentendus.
Le manque de positionnement à le meme effet. Changer constamment d'avis, demander sans cesse celui des autres crée le doute.
Comment les managers peuvent mieux communiquer
Voici quelques pistes pour éviter de reproduire ces erreurs :
Clarifier ses intentions : Avant d’intervenir, identifier clairement l’objectif de la communication.
Écouter activement : Prendre le temps de comprendre la situation avant de formuler une critique. Poser des questions !
Valoriser le travail accompli : Reconnaître les efforts et les succès avec sincérité.
Admettre ses limites : Si un manager n’a pas toutes les réponses, mieux vaut être honnête et demander de l’aide.
S’exprimer avec respect : Bannir les remarques déplacées et s’assurer que chaque message est constructif.
Être manager, c'est confier aux bonnes personnes des projets qui leur correspondent. Ce n'est pas être omniscient.
Un appel à des pratiques managériales respectueuses
Le rôle d’un manager ne se limite pas à donner des ordres ou à superviser des tâches. Il s’agit de créer un environnement où chaque collaborateur peut se sentir valorisé, écouté et soutenu (ce qui évitera d'avoir à donner des ordres). Cela nécessite du temps, de l’écoute et une volonté sincère d’accompagner les équipes dans leur développement.
Le management repose sur un art souvent négligé – celui de la communication. Les mots comptent. Les silences comptent. Et ce que l’on choisit de dire ou de taire peut faire ou défaire une équipe.
Nous méritons mieux que des reproches infondés, des attentes irréalistes ou des silences gênants. Le travail doit être un lieu où chacun peut évoluer avec respect et dignité. Il est temps de repenser la communication au sein des organisations pour en faire un outil de croissance, et non de souffrance.
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