Pourquoi votre manager est un con?
- Ingrid Franssen
- 24 mars
- 5 min de lecture
Cette incompétence apparente n’est pas un accident. Elle est le résultat d’un mécanisme systémique qui façonne nos entreprises depuis des décennies.
Les employés promus le sont parce qu’ils sont bons dans leur post actuel, et non parce qu’ils ont les compétences pour le poste suivant.

Le Principe de Peter
Formulé par Laurence J. Peter en 1969, ce principe repose sur une observation simple :
"Dans une hiérarchie, tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence."
Atteindre son seuil d’incompétence ne signifie pas que l’on devient subitement mauvais ou que l’on "désapprend" ses compétences. Cela signifie que les exigences du nouveau poste sont différentes, et que les compétences qui avaient fait notre succès ne sont plus suffisantes.
Mon expérience : 20 ans à observer l’incompétence managériale
En 20 ans de carrière dans les médias, je n’ai croisé qu’un seul manager réellement compétent.
Tous les autres oscillaient entre une incompétence criante, voire une absurdité totale, et une certaine médiocrité intellectuelle. Dans tous les cas, y compris pour le talentueux, manipulation et mensonge faisaient partie de leur arsenal, comme s’il s’agissait de compétences managériales à part entière. Un seul s'est tout de suite mis "hors jeu" : il n'était ni manipulateur, ni menteur mais plutôt que de prendre des décisions courageuses, il était évitant. Si bien, que je l'ai soupçonné d'être doué et de s'autosabotter.
Pourquoi une telle incompétence peut-elle perdurer avant de devenir visible dans les résultats ?
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène :
L'Effet Dunning-Kruger : Ce biais cognitif, décrit la tendance des individus incompétents à surestimer leurs compétences et à être inconscients de leurs lacunes. Cette surestimation les rend confiants, voire arrogants, ce qui peut masquer leur incompétence aux yeux des autres pendant un certain temps.
La culture d'entreprise : Dans certaines organisations, une culture de complaisance ou de non-remise en question permet à l'incompétence de se maintenir. Les erreurs ou les mauvaises décisions ne sont pas sanctionnées, et les résultats médiocres peuvent être attribués à des facteurs externes, retardant ainsi la prise de conscience de l'incompétence managériale.
Le travail des collaborateurs compétents : Les employés compétents compensent souvent les lacunes de leurs supérieurs en corrigeant les erreurs et en assurant la continuité du travail. Leur engagement masque temporairement les effets de l'incompétence managériale, retardant ainsi sa détection.
La peur de demander de l’aide ou de redescendre
Une fois arrivé à un poste où il n’est plus compétent, un employé fait face à plusieurs dilemmes :
Redescendre serait perçu comme un échec, il s’accroche donc à son poste. Demander de l’aide pourrait être vu comme un aveu d’incompétence, il préfère masquer ses lacunes.
Il compense par du contrôle excessif, de l’autorité injustifiée ou du micromanagement.
Quand ce ce sont pas les meilleurs qui sont promus
Le Principe de Peter suppose que l’incompétence vient d’une promotion basée uniquement sur la performance. Mais dans la réalité, beaucoup de promotions ne sont même pas fondées sur la compétence… mais sur le réseautage, la politique interne et l’opportunisme.
Dans de nombreuses entreprises, les promotions ne sont pas toujours méritocratiques :Les promotions sont accordées à ceux qui plaisent aux bonnes personnes plutôt qu’à ceux qui sont réellement compétents.
Un employé bien connecté avec la direction sera plus facilement promu, même s’il n’est pas le plus performant.
Ceux qui savent naviguer dans la politique interne (flatteries, alliances, manipulation) prennent l’ascendant sur les véritables talents.
Le syndrome du manager "Invisible"
Certains managers atteignent des niveaux élevés sans jamais vraiment prouver leur valeur.
Ils sont habiles pour se fondre dans le décor et éviter les erreurs visibles.
Ils délèguent leurs responsabilités aux autres… et prennent le mérite du travail de leurs subordonnés.
Ils maîtrisent l’art de ne pas faire de vagues, ce qui leur permet de gravir les échelons sans se faire remarquer.
La Survalorisation des "Leaders Naturels"
Certaines entreprises promeuvent des individus simplement parce qu’ils ont une présence charismatique ou une capacité à parler avec assurance, même s’ils n’ont aucune compétence réelle.
Le concept de kakistocratie (du grec kakistos, "le pire", et kratos, "pouvoir") désigne une organisation dirigée par les pires individus possibles.
En entreprise, ce phénomène se manifeste quand :
Les personnes les plus opportunistes et toxiques accèdent au pouvoir, grâce à leur capacité à manipuler et non à leur compétence.
Les décisions sont prises sur la base de l’intérêt personnel et non de l’intérêt collectif.
Les talents sont marginalisés car ils représentent une menace pour le statu quo.
Une étude d’Isabelle Barth, professeure en sciences du management, montre que la kakistocratie peut transformer une entreprise en un environnement de travail toxique, marqué par le désordre, des objectifs flous et une culture de la méfiance.
Autrement dit, quand une organisation laisse les incompétents ou les plus manipulateurs prendre les rênes, elle court à sa perte.
Conclusion : Vers un management plus intelligent et adapté à la nouvelle génération
Pendant longtemps, tant que les chiffres étaient au rendez-vous, les entreprises n’ont pas ressenti le besoin de remettre en question leurs pratiques managériales. Mais ce modèle atteint aujourd’hui ses limites. Si les mauvais managers peuvent rester en poste des années sans conséquences visibles, c’est parce que la productivité de leurs équipes masque temporairement leurs lacunes. Cependant, les études montrent que cette situation a un coût important à long terme :
31 % des salariés européens déclarent que leur productivité est directement impactée par un mauvais management. (Le Figaro)
25 % des démissions sont attribuées à des pratiques managériales toxiques. (Mindforest)
70 % des projets de transformation échouent en raison de la résistance au changement, qui empêche d’adopter des pratiques plus efficaces. (Psico-Smart)
Ces chiffres montrent bien qu’il ne suffit pas d’avoir des résultats financiers positifs pour considérer qu’une entreprise fonctionne bien. Un mauvais management a des conséquences cachées qui finissent tôt ou tard par éclater : désengagement, démissions, perte d’innovation et détérioration du climat de travail. Et pour celles et ceux qui pensent avoir encore du temps devant eux/elles, rappelez-vous que le temps passe vite.
Un Défi Majeur : S’Adapter à la Nouvelle Génération
L’arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail va rendre ce sujet encore plus crucial. Contrairement aux générations précédentes, les jeunes actifs d’aujourd’hui ont compris une chose essentielle : se tuer à la tâche pour un salaire ne fait plus sens.
Certains les qualifient de paresseux, mais c’est une erreur de lecture. Ce n’est pas un rejet du travail, mais un changement de paradigme : ils ne veulent plus sacrifier leur bien-être pour un modèle qui les use sans reconnaissance.
Ce qu’ils cherchent, c’est remettre du sens et de la profondeur dans leur engagement professionnel :
Des entreprises avec des valeurs réelles et non du "bullshit corporate"
Un équilibre entre vie pro et perso sans culpabilisation
Un management fondé sur la confiance, pas sur le contrôle et la peur
La possibilité d’évoluer sans tomber dans la politique et les jeux de pouvoir internes
Ces attentes sont une révolution silencieuse qui pousse les entreprises à se réinventer. Ceux qui refuseront d’évoluer verront leur turnover exploser, leur attractivité chuter et leur capacité d’innovation s’effondrer.
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